haemogl0bin
Une ombre frêle, voir squelettique, bousculant et écorchant l'épaule des autres piétinant sur son chemin. Une ligne droite, qu'elle a déjà tracée, et qu'elle suivra coûte que coûte. Le crâne dressé, un regard qui fixe le fond du tableau et qui ne le lâche jamais, un pas de plus en plus hâté, elle file, tout droit, tel un courant d'air glacé.
Des cheveux noirs, en abondance, des mèches fauchées, glissant sur ses yeux. Un teint lunaire, des poignets frêles appuyés sur ses genoux, un regard gelé et pensif. Le crâne incliné, elle médite. Elle pense au monde qu'elle ne comprend pas, et auquel elle n'appartient pas. Ses yeux ne cherchent rien, ils fixent un point pour le détruire, ils sont vides, gris, et froids, et ils refroidissent quand on les croise.
Sa bouche est fermée, les lèvres légèrement pincées comme si elle se devait retenir, une nausée énorme de remords. Elle a envie d'hurler, en permanence, que oui, le monde pue, et qu'elle le hait. Puis un jour, elle vomit. Elle vomit sur celui qui passe ou sur du papier. Feuille blanche qu'elle colore, de couleurs sombres, morceaux non digérés, des trop longs repas du passé.
Ses
mains se crispent, à l'approche ultime. Elle a envie d'égorger, de rompre, de
scarifier, tout sourire faux trop souvent distribué.
Elle sort parfois, avec les êtres qui la comprennent encore, qui l'admirent et la soutiennent. Ils boivent, dansent, fument. Ils rient, chantent, et hurlent des choses absurdes. Pour chacun d'entre eux, le monde ne leur suffit pas. Il est trop restreint, trop intolérant et malsain. Ensemble, ils noient leurs chagrins et leurs rires dans l'alcool. Il se sentent libérés l'instant d'une soirée, et retourne en cellule le lendemain.
Elle
trouve refuge dans les ombres qui la protègent du faux paradis. Elle en fait
son monde et sa galaxie repeinte en noir. C'est une étoile tombée du ciel, qui
a perdu ses autres branches. Elle est éteinte et on peut le lire dans ses yeux.
Elle boite, elle agonise, elle aimerait cracher le brouillard qui l'empêche de
respirer. Elle recherchera toujours ses autres membres, perdus lors de
l'impact.
Je l'ai vue
quelques fois, les joues salies de larmes noires, emportant la couche de crayon
qu'elle avait sous les yeux. Je l'ai vu, les cheveux ébouriffés et mouillés
tenter de cacher l'anxiété de son visage. Je l'ai entendue rire aux éclats, et
hurler à la mort. Je l'ai vue se déchaîner sur de la musique qu'elle vivait. Je
l'ai vue décharger sa colère et la nourrir. Je l'ai vue sourire comme une
enfant en déballant un morceau de chocolat. Je l'ai vue heureuse et abattue
dans les bras d'un homme.
Au fond, cette étoile est humaine.
Je l'ai suivie.
Je la suis encore.
Elle a su me
prouver que j'étais comme elle. C'est grâce à elle si j'ai pu sortir et exhiber
ce que j'avais de plus sombre en moi. Elle ouvre le pas et je ferme la
danse, en y rajoutant encore des couches de noir. Les êtres qui essaient de
suivre s'y perdent, ils s'y noient, dans cette absurdité totale. Esprits
éternellement voués au morbide. Laissez-nous dans l'ombre si c'est ça la
lumière.
Haemogl0bin is my key.